Après avoir été considéré un peu rapidement, comme définitivement stable pendant plusieurs décennies (cf. l’acronyme SPOD : Steady Predictable Ordinary Definite), notre monde s’est vu qualifié pendant plus de 20 ans de VUCA(Volatilité, Incertitude, Complexité et Ambiguïté), c’est-à-dire soumis à de brusques et fréquents changements.
Complexe, il nous oblige au développement d’une intelligence agile. Ambigu, il restait encore susceptible de nous surprendre.Cependant, il était relativement aisé de s’adapter à un monde changeant sous conditions néanmoins que l’on puisse suivre son rythme.
Mais les choses changent…. Selon le futurologue Jamais CASCO, à l’origine d’un nouvel « étiquetage » du monde, deux événements sont venus bouleverser notre conception mentale et morale du monde : la crise COVID et la guerre en Ukraine.
Depuis notre monde en aurait pis un coup et serait devenu un monde BANI, pour Brittle, Anxious, Non Linear et Incomprehensible
BRITTLE : Le monde serait ainsi fragile, précaire. Ce qui était de l’ordre de la volatilité hier mais encore basé sur l’espoir d’une sortie positive se retrouve aujourd’hui devenu précaire. Le progrès peut ne pas être au rendez-vous. Les deux derniers événements majeurs que sont la guerre en Ukraine et la crise covid sont venus nous rappeler que les choses ne finissent pas toujours bien et peuvent mal tourner. Face à cette précarité, il nous faut encore travailler notre résilience et notre capacité à apprendre de nos erreurs.
ANXIOUS : du coup, nous voici anxieux, si ce n’est angoissés d’ailleurs… Si les choses vont si mal, peut-on encore s’en sortir ? Le sang-froid est de mise. Il nous faut tous nous rappeler cette parole de Marc-Aurèle : Si tu t’affliges pour une cause extérieure, ce n’est pas elle qui t’importune, c’est le jugement que tu portes sur elle.
NON-LINEAR : le monde n’est pas explicable par la monstration d’une série de mécanismes logiques qui nous permettrait de lire l’avenir. Il est chaotique car on ne peut prétendre à prévoir ce qui va arriver. Face à la difficulté de planifier sur le long terme, le manager audacieux doit tenir compte du fait que chaque situation est une situation nouvelle qui exige une remise en cause de la manière dont il agit.
INCOMPREHENSIBLE : parce que le monde demeure mystérieux, faisons preuve de patience. L’afflux d’information qui est notre lot quotidien ne nous donne pas plus de réponses mais plus de raison de se questionner ! Si la vérité universelle était encore à la mode au XXème siècle, les idéologies globalisantes (fascisme, nazisme, communisme, …) n’ont plus la côte. La vérité est complexe et donc difficile à appréhender, ce qui la rend incompréhensible.
Et les collectivités locales dans tout ça ?
Puissantes institutions, les collectivités locales, en particulier les communes ont une capacité de résilience formidable. Parce qu’elles maillent totalement notre territoire et interviennent au plus près des usagers du service public, leur réseau et leur capacité d’action est important et leur capacité à faire appel en cas de problèmes à des ressources internes issues de formes de solidarités locales reste réel.
En ce sens, ce sont des institutions plus que des organisations, car elles ont par leur durée de vie et leur action sur le territoire, marqué la géographie comme les esprits. C’est ainsi que les individus se définissent encore comme venant de telle ou telle ville… et pas d’une autre.
Gérées politiquement par une équipe locale et par une administration qui est aussi largement ancrée sur son territoire, ces collectivités locales sont selon nous les mieux armées pour faire face à un monde BANI.
Ne serait-ce que parce qu’elles ont déjà eu la capacité d’évoluer largement au cours de leur histoire pluricentenaire et ont montré leur formidable capacité de résilience.
Le manager public a donc entre ses mains un outil éprouvé en qui il peut avoir confiance car cet outil a sur le temps long, des capacités étonnantes de résilience et de conservation de ses caractéristiques fondamentales : pérennité et efficacité au service de tous.
La question de savoir comment en faire aussi une organisation agile vient a priori à l’encontre de cette capacité de résilience. Mais il n’en est rien, on peut se reposer sur une institution historiquement ancienne, tout en considérant son administration comme une organisation souple et ingénieuse. C’est ce double équilibre qu’il s’agit de conserver et qui permettra aux collectivités locales les mieux armées de survivre dans ce monde BANI.
Rémy Canuti